Gaspésia 100 – 3ème étape TP100

Une courte soirée

Je ne vous cacherais pas que j’ai connu des jours meilleurs. L’estomac est fragile, le chemin du retour est loin, je me demande si je vais de nouveau renvoyer… Christian me dit qu’on arrive dans 5 minutes.

Je me concentre sur ma respiration pour contrôler l’estomac qui fait le yoyo, c’est simple chaque douleur dans le genou me porte au cœur.

Quand on arrive chez notre hôte Nathalie Landry, Samuel est à la porte, lui aussi de retour de sa course. Je ne peux lui tenir la conversation tellement je suis mal. Je veux prendre ma douche, manger un peu si j’en suis capable et aller me coucher pour reposer ce genou qui tape dans mon cœur.

Je passe le détail de notre état corporel, on doit frotter très fort et longtemps pour enlever la terre et la boue collée à nos orteils et chevilles. Mon mal être continue dans la douche jusqu’à ce que je me remette à vomir le réconfort que j’avais reçu par l’équipe médicale à mon arrivée.

Je me sens mieux, je mange quelques bouchées avant d’aller me reposer, car je dois me relever à 2h30 et il est déjà 20h.

La dernière étape

J’ai faim… Une faim de loup, je me nourris gros avant de partir. La météo s’annonce critique, mais j’ai confiance en la vie. Heureusement que Christian était en bon état hier, il m’apprend qu’on a reçu un courriel, car le départ à changer de place… Oups, que je ne suis pas à mon affaire, jamais j’aurais été consulté mes courriels avant le départ.

Nous ne sommes plus nombreux ce matin, seulement un autobus au lieu de 2 la veille. Vous me direz la veille on partait avec les coureurs du 160 et ce matin se sont ceux du 35 km qui partent avec nous. Mais, ce que je veux vous dire, c’est que je vois bien moins de dossards multicolores du TP100.

Arrivée au nouveau point de départ, je ressens une petite crainte. Il fait froid, la mer est déchaînée, j’ai peur pour mon genou quand j’écoute qu’on va courir presque 8 km sur la plage, dans le sable et les petits cailloux qui vont si mal… De plus, j’ai pas trop compris le parcours, j’ai peur de me perdre.

Je demande à Christian si on peut courir ensemble. Il me répond que oui, mais je le sens fuyard…

La fin de la plage

C’est très difficile de courir ou avancer vite en prenant soin de garder mon genou droit. Je vois Christian s’éloigner tout en le gardant dans ma ligne de mire. Il me distance de plus en plus. Je n’irai pas plus vite pour autant, je dois y aller selon la douleur. J’ai pris un tylénol avant de partir pour ne pas la sentir, mais je la sens pareil. Elle doit être plus supportable et elle ne me tape au cœur.

À un ou deux km de la sortie de la plage, je vois 2 filles en difficulté. Je leur demande si elles ont besoin d’aide. L’une d’entre elles s’est tourné la cheville. Sa course est finie. Elle sort de la plage pour avoir moins mal et attendre la voiture de rapatriement. Cela me confirme combien je dois rester vigilante.

Enfin on sort de ce calvaire. Une surface plate, pour les pieds, oh que c’est bienvenu. Ben non toi, je n’arrive pas à courir. Le genou fait mal, comme je suis déçue… Je me ressaisis très vite et me concentre sur la chance que j’ai de macher vite. Alors, go, pas besoin de courir, il suffit de ne pas perdre de temps en s’apitoyant sur son sort. Et c’est ainsi que j’ai boosté mon petit corps gelé qui se faisait arroser à chaque foulée.

Le départ est donné, nous avançons quelques mètres ensemble, puis je dois le laisser aller, car mon genou a tendance à partir. Nous n’avons pas fait 100 mètres, qu’un coureur fait demi-tour. Il c’est fait mal au genou… Je ferme les yeux et j’espère fortement que je ne fais pas d’imprudence.

Perdu sous le mauvais temps

Quel temps dégueulasse… Franchement, il faut le vouloir d’être ici, mais je ne veux pas arrêter. On m’obligerait à le faire, je ne voudrais pas. De plus, j’ai payé pour le faire. Il faut être fou, je vous l’accorde, mais je ne voudrais pas être ailleurs. Je n’aime pas les choses faciles. J’aime relever ce genre de défis. C’est dans le dépassement de moi que je me sens vivante.

J’ai mis 72 minutes pour sortir de la plage. J’ignore où je vais et j’ai aucune idée de la difficulté qui m’attend sur ce tracé. Je suis époustouflée de l’état des sentiers qui se dressent devant moi. Je ne me pose même pas de questions à prendre la place la moins boueuse, c’est partout pareil avec l’eau ruisselante par-dessus mes chevilles. Le terrain est très dangereux, glissant, caillouteux, incroyable, je ne comprends même pas comment j’arrive à tenir debout.

Il est très difficile d’avancer. Tu avances d’un pas pour reculer de deux quand c’est pas trois. Les doigts gelés, les pieds détrempés, les épaules transpercées, aucune partie du corps ne sont épargnés. J’aimerais manger. Mais, je ne veux pas m’arrêter, j’ai pas le goût d’enlever mes gants mouillés. J’ai peur aussi que mon estomac se remette à rejeter si je prends du sucré. Je choisis donc de poursuivre sans me nourrir. Toutes mes pensées sont avec mon amie Isabelle Bernier, qui a dû finir sa diagonale sans pouvoir s’alimenter…

Christian sur le chemin

À l’aube d’un sentier, un pick up est là… Oh, j’aime pas ça, j’ai peur qu’il m’oblige à arrêter comme je suis trop lente. Je ne suis pas fière d’arriver à sa hauteur, quand soudain, je vois Christian à l’intérieur.

Je m’assure que tout va bien pour lui, il a froid. Il veut arrêter, mais avant il voulait savoir pour moi.

Oups, jamais d’la vie, non! Je continue. On sait que ce n’est pas facile, mais c’est à nous d’aller puiser nos forces intérieures.

Je lui dis au revoir et je poursuis. Cela a pris 2 minutes pour que la voiture revienne à ma hauteur. Christian en descend et me dit qu’il veut poursuivre avec moi. Wow, je ne m’attendais pas à ça… Ah, oui ? Tu es sur ??? Ne fais pas ça pour moi là… C’est vraiment génial. Je suis très fier de lui. Cela va être plus facile de partager la difficulté.

J’apprends qu’on a 14 km de fait, j’ai l’impression d’en avoir fait le double. Le prochain ravito est encore à 5km. C’est loin, moi qui pensais en trouver un ici. Aucun, problème, on va faire ce qu’il faut pour compléter la distance. Il pleut toujours, l’eau est vraiment froide. Il est très difficile de produire et garder notre chaleur.

Mauvais vêtements

Vous connaissez l’expression, il n’y a pas de mauvaises températures, mais plutôt de mauvais vêtement ? On s’entend qu’on ne parle pas de course aujourd’hui, mais de randonnée. À la différence que je ne suis pas couverte pour faire de la randonnée, mais de la course. D’où notre problème pour se réchauffer.

Nous avons fait un mauvais choix de vêtements. Pour ma part, j’avais prévu d’autres affaires que j’ai jugé inutiles avant de prendre l’autobus. Je me demande si cela aurait fait la différence de toute façon, tellement il pleut.

Je chasse ces idées inutiles pour avancer positivement et me concentre sur ou je pose les pieds, la boue et la glaise font bon ménage pour tendre les pièges et nous donner du fil à retordre pour grimper ou descendre, le tout gorgé et inondé d’eau. Chaque année, je pense que c’est la pire des trails, mais chaque année, je reviens… C’est quoi que je ne comprends pas ? Je connais la réponse… J’aime venir me tester à la Gaspésia 100.

Je n’ai pas été élevée dans la ouate. Ici, je viens cultiver mon mental pour la saison. Ici, je retrouve mes semblables qui me font grandir. Ici, on parle le même langage. Le langage de la persévérance, de la reconnaissance, du dépassement de soi et du plaisir.
Jean-François Tapp est à l’écoute des coureurs pour que chacun garde la marque gaspésienne dans leur cœur et revienne année après année. Je ne suis pas Gaspésienne, mais je m’y sens chez moi.

Bénévoles exceptionnels

Christian et moi sommes contents de compléter cette 3ème étape ensemble. On a froid, c’est certain, mais en étant tout le temps en mouvement, on va bien finir par arriver… Le ravito de la commune est le bienvenu. Le premier depuis notre départ à 5h au bout de 19 km. J’ai aucune idée de l’heure et je m’en soucie guère.

Je veux et demande du chaud. La jeune étudiante en plein air, avec qui j’ai beaucoup discuté la veille, me couvre pour me tenir au chaud, me donne de l’eau chaude, essaie de me réchauffer les mains. Ça fait du bien… Christian mange… Moi, je veux juste du chaud.

Raphaël qui est là pour évacuer les coureurs qui veulent arrêter nous demande pour nous ramener. Eh, grand dieu, jamais d’la vie. Je me retourne vers Christian et je vois son visage se déconfire. Je rappelle à Christian qu’il peut arrêter s’il le souhaite. Il y a aucun problème pour moi à continuer seule.

Je demande combien de kilomètres il nous reste, car je ne veux pas en faire un de plus. Il me manque 30km pour compléter le 100. Et cela ne sera pas 32 ou 35… Non, non, je ne ferais pas du zèle cette année.

Gants de vaisselle

Raphaël me dit qu’il en reste 15. Parfait, je suis capable. Par contre, il me faut un truc pour mes doigts. J’ai l’impression qu’ils vont tomber. Ils ne plient plus, se sont des glaçons douloureux. Je vois des gants de vaisselle sur la table. Je demande pour repartir avec, pour moins ressentir l’eau glacée qui nous tombe sur la tête depuis ce matin. Raphaël, surpris, me répond qui oui même s’il sait qu’ils vont lui faire faute…

Christian s’impatiente, il a froid. Il me demande de me dépêcher, car il repart avec moi. Cela me supprime mon temps pour manger, mais je préfère repartir pour le garder avec moi. Le gros passage des cordes n’était pas facile hier sans la pluie, dans quel état va-t-il être aujourd’hui ? Je n’ose l’imaginer. Raphaël nous redemande une dernière fois pour nous rapatrier. Non, non, pas pour moi…

Le brun de chaleur reçu à la commune nous permet d’affronter le passage le plus chaotique du parcours de façon plus sereine. Je prends de grands respires et je suis bien contente d’avoir les gants de vaisselle pour m’agripper à la corde. Le terrain est instable, je ne peux prendre aucun appui sur mon genou gauche. C’est vous dire combien la corde et les gants m’ont été utiles. Je me suis laissée glisser tout le long de la descente.

J’ai réussi à ne pas mettre les fesses au sol par je ne sais quel miracle… Notre prochain arrêt pointe le bout de son nez, Gargantua, nous voilà…

Les anges de Gargantua

Oh comme il fait bon de se retrouver avec des anges… Nous avons des corps frigorifiés. Nous ne réussissons plus à conserver notre chaleur, depuis quelques kilomètres. La pluie a eu raison de nous. Elle nous grignote à mesure, goûte après goûte. Je ne jetterai pas l’éponge pour autant. Je vais me requinquer ici et repartir pour compléter.

Je lis de désespoir dans les yeux de Christian, quand je réponds : « je veux continuer » quand on nous pose la question pour arrêter. Je réitère la possibilité d’arrêter pour Christian, s’il le souhaite, mais pour moi c’est non. Ce qui pousse une fois de plus Christian dans son retranchement. Il ne veut pas me laisser. Je ne suis pas inquiète pour Christian, il a la capacité de compléter, c’est son mental qui lui joue des tours…

Les étudiants en entretien d’éoliennes, qui sont ni plus ni moins les amis de notre ami Dany Vachon (ça, je l’ai su plus tard) cette équipe nous a donné la recette gagnante pour nous repomper et surtout garder notre chaud.

Ils nous ont réchauffé le cœur et le corps. Ils se sont assurés que l’on avait la capacité de repartir. Radio Canada est venue nous interroger, mais notre témoignage ne devait pas être super… On n’a pas encore vu le résultat et on ne le verra sans doute jamais…

Une fin heureuse

Le truc à savoir, que j’ai appris à ce ravito. La couverture de survie était la solution pour garder notre chaleur. J’ai appris aussi qu’une couverture de survie pouvait-être défectueuse. Heureusement que Christian était avec moi, car nous avons dû partager la sienne à la vue de la mienne qui n’avait plus l’isolant… J’ai été stupéfaite devant ce constat. On pense avoir le nécessaire et malheureusement inefficace.

La couverture de survie installée sur nos épaules par nos anges, la soupe chaude ingurgitée, le feu pour nous sécher les cuisses, les gants, les bonnets changés, c’est ce doux mélange qui a fait qu’on a pu reprendre la route avec une énergie incomparable à tout ce début de matinée.

Nous avons pu finir notre parcours au petit trot jusqu’à la fin. Le fil d’arrivée avait un goût de satisfaction inestimable devant toutes ces difficultés.

L’accueil par nos amies Nathalie Landry, Nathalie Roy, Isabelle Racette, Christiane Plamondon et Jean-François Tapp l’organisateur a été la cerise sur le gâteau à notre arrivée.

Cette course, je l’ai dans mes tripes, je ne fais pas 1000 kilomètres et plus, pour m’arrêter en chemin sans raison valable. La pluie, le froid, les mauvais vêtements, ne sont pas des raisons pour arrêter pour moi, c’est par nos erreurs qu’on apprend, qu’on se renforce, qu’on devient plus fort.

Gaspésia 2024

À toi, qui hésites à t’inscrire à la Gaspésia, je veux te donner quelques conseils.

Tu t’inscris si tu veux :

– te dépasser
– te tester
– du challenge
– des surprises
– de la bonne humeur
– de la boue
– du D+++
– de beau paysage
– une fin de semaine exceptionnelle

Si tu veux du facile, ça risque de te faire sortir de ta zone de confort, ici c’est pas pour les chochottes, c’est pour les amoureux de la trail tout simplement… À bientôt la gang, j’aurais aimé refaire le TP100, mais pour des questions de logistique au travail, ce sera certainement 80km pour moi.

Cette année, nous avons dû reprendre la route sans repos après notre course. Une urgence tombée le vendredi nous attendait au bureau, dés 8h le lundi matin. C’est ce qui a été le plus difficile à gérer, notre 4ème étape. Faire 12 heures de route puis 8 heures de travail, sans dormir à la suite du 100km…

Ouff… Je vous confirme que je n’ai plus 20 ans… Je continue de croquer la vie à pleines dents…

Gaspésia 100 – 2ème étape TP100
Le Mont Albert – 1ère partie

6 Commentaires. Leave new

  • Toute un défi que vous avez réussis toutes les deux 🙌 J’adore votre photo de l’arrivée main dans la main 🥰 oh la la que vous êtes des guerriers. Je crois que la Gaspésie vous ont vraiment testé votre capacité cette année. Et vous l’avez gagné! Bravo à vous tous!!!

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    • Oh, oui, c’est toute une expérience.
      J’ai pas tout à fait fini la présentation, mais je vois que tu as pu le lire.
      Merci de ton précieux soutien

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  • Isabelle Théroux
    30 juin 2023 7 h 26 min

    Wow j’adore te lire ça me donne le goût de m’inscrit mais pas pour le 100 hahah bravo as vous deux vous faite une super équipe .
    Béa ta force es contagieux. J’espère que je vais l’avoir pour mon défi.
    Encore bravo as vous deux les amies 😘

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    • Merci Iza, oui je vais te contaminer, tu as déjà beaucoup en toi ce qui fait que tu as un beau potentiel. Accroche toi, tu vas l’avoir ton 80…

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  • Je savais que tu l’avais eu difficile, mais pas à ce point. Chapeau bien bas d’avoir su persévérer malgré toutes les invitations à ne pas le faire.

    Fais attention à ton genou, par contre, car tu as tellement de projets encore…
    Grosses bises

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    • Merci Marlène, oui je suis au ralenti pour un bout, peut-être que je pourrais revenir qu’en 2024 sur les longues distances mais en attendant je vais me réparer en courant léger.

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