La Mascareignes, après la chute

Christian me laisse entre les mains des secouristes et reprend sa course.

Les 2 secouristes, bien sympathiques, l’un d’eux me désinfecte les plaies et me demande de poursuivre doucement jusqu’au prochain ravito ou je trouverai des infirmières.

Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est. J’avance péniblement, mais j’avance. Le sentier est correct, ni trop difficile, ni facile, je suis dans un passage où il m’aurait été agréable de courir. Malheureusement, ce n’est plus possible pour moi, enfin pour l’instant… Peut-être qu’après les soins et conseils des infirmières je pourrais de nouveau courir. Je me concentre sur ma respiration et fais appel à Kim Gaudet de venir me passer ses petites jambes légères et musclées pour soulager mon genou.

J’ai hâte de voir les infirmières pour avoir leur avis…

Aurère

Me voici arrivée, je me sens bien malgré mon genou. J’ai de l’énergie, mon moral va bien et je me trouve en meilleur état que beaucoup d’autres coureurs, dont Christian que je retrouve en attente de soin pour sa bandelette.

La file d’attente est longue vers les infirmières… L’une d’elles me désinfecte, m’examine puis me dit que je dois voir un docteur, c’est trop enflé… Les docteurs se trouvent au prochain ravito qui est à Deux Bras soit 7km plus loin.

Je me ravitaille vite fait et ne perds pas plus de temps pour aller à la rencontre d’un docteur. Christian m’emboîte le pas puis me distance de nouveau, car je ne peux pas aller trop vite. Quand je dois plier ou forcer sur le genou, j’augmente la douleur et je fais saigner la plaie… Pfff, je m’en veux d’avoir glissé… Pourtant qu’aurais-je pu faire pour éviter… Je n’y ai pas vu venir…

Je laisse partir ses idées qui n’ont aucun intérêt pour me faire avancer et me reconcentre rapidement sur mon objectif, mon souffle et le bonheur d’arriver à La Redoute.

Deux Bras

Wow quel accueil, j’adore les bénévoles. Ils sont prévenants, souriants et préoccupés de notre bien-être, est-ce à cause de mon genou qui ne passe pas inaperçu? Je ne sais pas ! Mais à chaque ravito, je suis prise en charge par l’un d’eux qui me conduit tout de suite au médical. Je suis vraiment éblouie par leur efficacité alors que nous sommes énormément de coureurs à chaque fois dans les ravitos.

Je me laisse guider et examiner par les médecins. Ces derniers voudraient que je reste allongée pour faire désenfler mon genou. Je leur dis que je ne peux pas me permettre ça sinon je vais perdre trop de temps.

Je sais que le 2ème gros morceau de la course m’attend, Dos D’Ane, une montée que tout le monde m’a décrite comme cruelle… Je suis gonflée à bloc pour m’attaquer à elle pour ensuite me reposer.

Bien plus difficile que je ne le pensais

Ouff, c’est rien de le dire… Ce n’est pas une montée… C’est un souffre-douleur… Je comprends maintenant les docteurs qui voulaient que je me repose et fasse désenfler mon genou… Cette fois je fais appel à Kim pour ses jambes d’athlète, mais aussi à Catherine que je fais voyager.
Je garde le focus malgré la chaleur et la difficulté. Je dois m’asseoir à 2 reprises pendant mon ascension, car je ne supporte plus la douleur. La raideur de la pente me porte au cœur, mon genou saigne, et enfle encore, la jambe entière est enflée… Tous les coureurs s’arrêtent à ma hauteur pour me porter secours… Je vais bien, ne vous inquiétez pas… J’ai juste fait une mauvaise chute au 21ème km… Merci, on se revoit à La Redoute.

Certaines coureuses qui ne sont pas blessées font plusieurs pauses elles aussi pour se reprendre. Tout le monde se demande comment je fais pour monter dans cet état…

Dos D’Ane

Ouff, je suis à Dos D’Ane, dans ma tête, ma course est finie. Les 2 plus terribles dénivelés sont finis. Comme dans les autres ravitos, les secours me prennent tout de suite en charge en voyant ma jambe. Ici, je prends le temps de me requinquer pour compléter plus facilement ma Mascareignes. J’ai épuisé beaucoup de cartouches d’énergie dans Dos D’Ane, alors il faut que je me recharge bien.

Je m’allonge le temps qu’on me nettoie de nouveau la plaie, le genou est très douloureux, Dos D’Ane a été cruel pour lui et tout mon physique, mon mental est intact. Après avoir bus et mangé, je me sens prête pour faire Kalla. On amorce la descente… Pour moi les descentes sont mes points forts, c’est donc très enjouée et confiante que je reprends ma course ou plutôt randonnée…

Oh calvaire, ce qui est habituellement ma force devient mon ennemie avec mon genou. Impossible de plier, la douleur est atroce, les larmes me viennent. Je prends de grands respires à chaque flexion, c’est l’horreur… Je reprends 1 comprimé Tylenol 8 heures pour que cela redevienne supportable.

La possession

Je suis contente d’arriver ici, je suis vidée, je veux dormir 5 minutes. Un Réunionnais me dit qu’il n’en peut plus. Je lui conseille de dormir 5 minutes et on reprendra la route ensemble s’il veut. On fait déjà la route ensemble depuis Deux Bras. On s’échange quelques mots. Je fais un peu ma sauvage, car je ne veux pas converser avec des coureurs qui n’ont pas le moral. Je ne veux pas qu’on vienne briser le mien, j’ai assez à combattre ma douleur.

L’infirmière qui s’est occupée de mon genou, me recommande et me fait un bandage pour que cela m’aide à grimper le Chemin des Anglais et le Colorado.

Christian m’a rejoint, alors que je le pensais loin devant moi… Je me dis que je commence à en perdre des bouts…

On repart ensemble pour faire le Chemin des Anglais. Ça me fait du bien de le voir. Il me dit que sa bandelette lui fait mal, mais il avance bien mieux que moi… Je le laisse partir, il nous reste plus que 21km.

Le Colorado

Le chemin des Anglais se passe sans que je m’en rende compte. Pourtant, je le redoutais. Pendant la reconnaissance en début de semaine, je l’avais trouvé difficile. Sans doute que comparé à tout ce que j’avais fait aujourd’hui il était bien plus facile !

Je suis super contente de cette constatation, plus qu’une difficulté et je suis arrivée. Youpi! yeahhh.

Je commence à sortir de ma bulle et regarde un peu les coureurs autour de moi… Oh là là, c’est pas beau à voir… Nous sommes tous des éclopés ou des handicapés qui arpentons le sentier… Un petit rire m’échappe et me fait avancer plus vite, me semble-t-il.  Je fais la route depuis un bout avec Nicolas. Je le trouve très bon, il est mort bien sûr, mais il encourage tout le monde pour qu’on arrive à La Redoute. Il râle, que c’est dur, qu’il en peut plus de grimper, etc… Mais, il est drôle, car il dit tout haut ce que l’on pense tous tout bas. Je prends beaucoup de plaisir à l’écouter…

Aille, Aille

Tout va bien pour moi, je prends mon mal en patience, car je ne peux pas courir. Jusqu’à ce que la difficulté recommence de plus belle, mais cette fois, je ne peux plus contrôler mon estomac. Nicolas ne veut pas que j’arrête, mais quand il m’écoute vomir c’en est trop pour lui et comprend que je dois me reprendre avant de pouvoir repartir… Pfff il me reste 1km pour atteindre le sommet du Colorado… Mais qu’est-ce que c’est difficile, la douleur du genou me porte au cœur, je suis vraiment très, très, très mal…

Des Saint Maritain

Un secours qui sillonnait ce tronçon me demande comment ça va et si je vais repartir. Je lui dis, oui donnez moi juste quelques instants que la douleur redevienne supportable et que mon estomac se stabilise.

Je reprends la route très ébranlée par cette mésaventure auquel je ne m’attendais pas du tout. Mon allure vient de diminuer, car à chaque pas douloureux, l’estomac est instable.

Une fin interminable

J’arrive au sommet tant bien que mal, l’air frais me fait du bien, j’ose pas prendre quoi que se soit au ravito de peur que ça remonte. Je reprends peu à peu de la vigueur et je me sens délivrer de cette mauvaise passe, car je sais que l’on termine par 5km de descente. J’ai hâte de pouvoir courir de nouveau à petit trop, je ne peux pas courir fort, mais trottiner devrait être possible.

Un bénévole me dit qu’il me reste plus que 3.7km, wow cool, c’est génial, merci, merci beaucoup pour cette info. Puis il ajoute, oh, mais attention, ils sont très techniques… Beurk… La phrase de trop…

La Redoute

J’ai jamais autant maudit un organisateur… Cette fameuse descente que j’attendais tant c’est révélé être le piège de ma course. Je voulais finir tranquillement avec un petit trot… Ce fût, galère sur galère pendant ces 4 petits km.
Une descente accidentée que mes genoux ne pouvaient plus supporter… Je n’étais pas la seule, une coureuse réunionnaise à pleurnicher tout le long de sa descente… Je ne pouvais plus supporter ces pleurs qui me rappelaient ma douleur que je ne pouvais plus du tout contrôler.

Heureuse de sortir du sentier

Un certain Loic du sud-ouest de la France m’a aidé et ne voulait pas me laisser quand la douleur trop violente m’a encore porté au cœur à 2 reprises.

Cette descente a été difficile moralement et physiquement. Pour la première fois de ma course, je voulais sortir du sentier, libérer mes genoux de cette souffrance que je leur infligeais.

Quand, j’ai franchi la ligne d’arrivée mes amis Joffrey, Véro et Christian étaient là, mais moi je n’y étais plus, j’ai tout donné pour arriver à La Redoute.

Une médaille qui vaut de l’or pour moi

Dommage que j’ai chuté, j’étais partie pour une très belle course. J’avais le corps aligné avec ma tête pour la première fois de cette saison, mais j’ai du faire avec, ça fait partie jeu.

Cette course est la plus difficile que j’ai faite. Je suis très heureuse de l’avoir complétée même si je n’ai pas fait le temps que j’aurais aimé.

J’aurais pu arrêter après ma chute, mais j’aurais été plus malheureuse que de faire ce que j’ai fait. De plus j’ai sans doute aidé ma guérison en me relevant et reprenant doucement le sentier.

Je ne dis pas que c’est la meilleure chose à faire en tout temps, mais pour moi pour cet évènement c’était mon meilleur choix.

Je ne regrette rien et je suis prête à le refaire dans les mêmes conditions s’il le fallait. La fierté d’avoir traversé ces 72km m’apporte une force intérieure incroyable. Je suis riche de cette force mentale que je peux avoir.

La Mascareignes
Sentier des Caps 3ème édition

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