Je l’attendais depuis 2021, oui, oui, le QMT80, la revanche… Il était sur ma liste depuis quelques années. Il fallait juste que je sois patiente. Après trois ans de galère à ne pas pouvoir courir comme je le voulais, je reviens petit à petit sur les distances qui m’animent.
Depuis mon retour de la Gaspésie, j’avais hâte. Revenir à ce départ de la Petite Rivière et dépasser le Cap Gribane jusqu’à la ligne d’arrivée. J’ai imaginé tous les scénarios possibles et trouvé des solutions mentales pour déjouer toutes les embûches. Vous comprenez que cela, c’est dans mes rêves ; après, il y a la réalité, où il faut se bâtir un fossé.
Mont St-Anne
Christian Vallée et moi arrivons au Mont-Saint-Anne à 16h30. La circulation était tellement mauvaise que nous avons perdu une heure. Nous n’avons pas pu saluer nos amis Line Pelletier, Themy Del Campo et Sylvain Laramée, qui partaient en autobus à 16 heures pour leur 160 km. Dommage !
Nous avons le temps de nous détendre en attendant nos amies Martyne Lessard et Valérie Lambert, toutes deux membres du Club de Trail Bromont, comme nous. N’ayant pas de réponse malgré mon texto, je les appelle. Elles aussi ont pris du retard avec la circulation. Dommage ! Deuxième rendez-vous raté…
Nous nous organisons pour manger pendant que notre véhicule électrique se recharge.
Mes crew
Nous allons récupérer nos dossards et prenons des informations sur les douches après la course. Nous apprenons que les douches ne sont pas disponibles cette année. Oups, nous devions dormir dans notre voiture, ce qui va être très inconfortable sans douche après 80 km… Je vous laisse imaginer : oufff, les odeurs, la saleté, beurk…
Nous nous en inquiéterons plus tard. Il est bientôt 19 heures, nous devons monter notre campement et finaliser nos affaires pour nos équipes respectives.
Au moment où je photographie tout pour expliquer en détail, Jessica Maurice et son conjoint Frédéric arrivent sur le stationnement. Un bon timing, je peux expliquer de vive voix et remettre le matériel directement. Que demander de mieux ? Je suis chanceuse.
Expulser
Il se fait tard, nous devons nous reposer avant le grand jour. La nuit va être courte : nous devons nous lever à 2h15 pour manger un peu avant de partir à 3h. Nous faisons une dernière visite aux toilettes quand nous voyons une personne de la sécurité faire le tour du stationnement…
Oh ! Oh ! Ce n’est pas normal… Nous allons à la rencontre de la dame, qui nous explique que nous ne pouvons plus dormir ici. Nous devons partir pour aller sur un parking QMT moyennant 40 $ sans service. Dommage ! Troisième déception de la journée.
Nous ne voulions pas déranger notre amie Marylène Gravel cette année car nous partions dans la nuit et reviendrions probablement aussi dans la nuit. Finalement, nous l’avons appelée pour utiliser son stationnement. Son grand cœur a fait le reste. Nous avons des ami(e)s en or. Les coureurs de trail ont une valeur ajoutée.
Samedi 2h15
Avec tout ce petit micmac, il est environ 10 heures quand nous nous couchons. La nuit fut courte mais bonne. Quand le réveil sonne, je me lève fraîche et dispo, prête à faire feu.
On y est, c’est l’heure. Pas de stress, je veux juste qu’on donne le départ. Nous arrivons près des autobus, mais restons dans notre voiture pour prendre notre petit déjeuner : une infusion gingembre-citron et quatre biscuits.
Je prends mes bâtons, mon sac d’hydratation, et je suis dans ma course. À partir de cet instant, je sens que je me détache du monde qui m’entoure.
Je suis là, je parle à tout le monde autour de moi, mais je me sens ailleurs, déjà dans les sentiers à errer ici et là. Je suis bien et j’avance à petits pas
Samedi 5h
Le départ est donné. Geneviève Cantin, qui voulait courir avec nous, a disparu immédiatement au signal, et Christian fait ses premiers mètres avec Margaux, membre du CTB, et moi.
C’est une première expérience pour Margaux et Christian sur le QMT 80, tandis que moi, je viens chercher ma revanche. Nous devrions pouvoir courir un bon bout ensemble car nous avons le même rythme.
La première section sur route se passe très bien. Nous entrons dans le sentier et là, il faut faire sa place. Les grands ralentissements commencent. Nous sommes tous à la queue leu leu, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de dépasser.
Loin de mes habitudes, je colle aux talons de la personne qui me précède pour ne pas me faire dépasser ; je serre les rangs comme on dit.
J’ignore si Margaux et Christian ont pu me suivre, mais je ne me retourne pas pour ne pas ralentir ma cadence.
Du déjà vu
Quand on avance en file indienne comme ça, je ne regarde pas la signalisation. Je suis tout le monde, je ne vois pas comment je pourrais me tromper…
Pourtant, en faisant ça sur le 125 Harricana, je n’ai pas passé un cut off car nous avons fait 5 km de plus. Eh bien, rebelote. Au bout d’un moment, tout le monde s’est mis à faire demi-tour en expliquant que ce n’était pas le bon chemin… Pfff, zut, en pleine côte, ça grimpe beaucoup, on est tous empilés comme des sardines et ce n’est pas le bon chemin. À peine 5 km de fait et déjà une erreur, ça commence bien.
J’étais fâchée d’avoir encore avancé sans m’assurer que c’était le bon chemin. On dirait que mes erreurs ne me servent pas de leçon.
Au bout d’un moment, je croise Christian. Je lui explique mon erreur d’avoir encore suivi bêtement. Je trouve très difficile de ne pas faire le mouton dans cette situation. Je vais finir par apprendre. Je décide de le suivre jusqu’à ce qu’il me distance, car je ne voulais pas dépasser ma zone 2.
Le Massif
Pour atteindre le Massif, nous avons 950 mètres de dénivelé positif sur 15 km. Il faut donc gérer son énergie en fonction de nos forces.
Pendant que j’étais égarée, Margaux a repris les devants. Elle fait actuellement la locomotive pour une dizaine de personnes. Les coureurs plus rapides dépassent, les autres s’entassent derrière. Elle ignore que je la suis.
L’ascension va être longue, je décide de prendre de l’énergie avec un chocolat noir que je colle dans mon palais. J’ai chaud, mais ça avance bien, je bois beaucoup.
Cette année, j’ai mis une alarme sur ma montre pour ne pas dépasser ma zone 2 afin de mieux gérer mon eau et mon énergie, car le ravitaillement est loin. Je me donne l’autorisation de pousser sur les 10 derniers kilomètres uniquement. La bonne blague, je ne savais pas ce qui m’attendait à ce moment-là.
Cap Salut
Quand je suis arrivée au Massif, Margaux était là. Je pensais voir Christian, mais non… Je suis contente pour lui, ça doit bien aller.
Heureuse d’être au ravitaillement car je n’avais plus d’eau depuis un kilomètre, je refais mon plein et repars aussitôt. J’emboîte le pas de Margaux pour ne pas perdre de temps.
Je ne prends pas de nourriture aux ravitaillements pour éviter tout problème digestif. J’ai tellement de mal avec mon estomac lors des grandes distances que je veux essayer quelque chose de différent.
Je mange donc sur la trail, avec mon propre stock. J’ai toujours mon chocolat collé au palais et je trouve ce parfum de chocolat pendant l’effort très agréable.
Est-ce grâce à cela ou pas ? Je vois que je dois dépasser tout le petit monde que Margaux tracte.
Je prends le rôle de locomotive à mon tour et entraîne deux autres filles avec moi. J’atteins le Cap Salut avec une facilité surprenante.
13.4 km pour 407D+
Je n’ai pas vu le temps passer du Massif à Cap Salut… J’adore ces kilomètres qui défilent sans qu’on s’en rende compte. Je ne vais pas me plaindre et je vais bien prendre ces 13,4 km, si facile que cela soit… Car il y avait quand même 407 mètres de dénivelé positif.
Quand j’arrive à Cap Salut, je vois Christian que je pensais être des kilomètres devant moi… Très surprise, je vais le voir. Il se sent ralentir. Alors, il repart car il pense que je vais le dépasser.
Moi, je prends mon eau, je dois préparer une bouteille d’électrolyte à faible dose de sucre et je repars.
Je perds du temps car j’ai de la difficulté à ouvrir ma poudre, ce qui permet à Margaux d’arriver. On échange quelques mots, mais je ne m’attarde pas. La route est encore longue, il reste deux coupures possibles. Je ne veux pas perdre mon avance.
Cap Gribane
J’attaque la section qui m’a été fatale en 2021. Je veux arriver à Gribane avec le sourire et une belle énergie. La température est parfaite, la petite pluie refroidit le moteur qui chauffe en montée, ce qui me permet de garder mon rythme. Mes bâtons m’aident beaucoup et soulagent bien mon genou.
Un bémol, j’ai omis de me faire faire un tapping. J’ai mal assuré, j’avoue, je dois me le noter pour la prochaine fois… Je vais aller voir les physio à St-Tite pour corriger cet oubli.
Tout en faisant le bilan de cette section que j’arpente tranquillement mais pas vite, je dépasse des coureurs, jusqu’au moment où je vois Christian. Je ne veux pas le dépasser car je ne veux pas que cela lui joue dans la tête. Je l’observe de loin pour voir s’il est en difficulté. Non, tout semble bien aller pour lui. Je vais juste plus vite que lui à ce moment là.
Ouep, je fais quoi ?
Je me rapproche de lui car je veux savoir à combien de kilomètres on est du prochain ravitaillement. “7 km”, me répond-il. Je suis certaine qu’il se trompe, mais je ne veux pas sortir mes lunettes, donc je suis forcée de le croire.
Humm, je voudrais reprendre ma vitesse, mais je ne voudrais pas perturber sa course alors qu’il a un bon rythme. Mes pulsations sont à 130 alors qu’elles étaient autour de 145 avant de le rejoindre.
Je décide de le suivre, et s’il descend en dessous de 120, je reprendrai les devants.
Nous allons ainsi jusqu’à St-Tite-des-Caps tous les deux. Je trouve ça super, c’est la première fois qu’on court un événement ensemble. Habituellement, nous avons rarement la même vitesse au même moment sur de longues distances ; il est fréquent que nous nous croisions aux ravitaillements.
St-Tite Des Caps
C’est super agréable de retrouver nos crew respectifs et de se laisser choyer. Je veux dormir quelques minutes pour essayer de soulager un mal de dos qui s’est déclenché dans la boue en atteignant Gribane. Ça glisse beaucoup. Je vais faire faire mon tapping et je repars.
Nous avons plus d’une heure d’avance sur le cut-off, ce qui est super. On prend des photos, on passe un peu de temps avec chacun, mais le temps passe très vite. Nous restons ici 30 minutes, alors que j’aurais aimé rester 5 à 10 minutes seulement.
Ce temps va me coûter cher, très cher je dirais… Je ne savais toujours pas ce qui m’attendait après…
Je ne regrette rien, j’ai pris du plaisir avec des personnes qui ont pris du temps pour nous. Un gros merci à Jessica Maurice, son conjoint Frédéric, Gloria Milan, Érica Parrlab et Catherine Campbell. Vous avez été au top
23 km et 950 D+
Quand je vois que j’ai 11 km à faire avec 485 mètres de dénivelé positif, cela ne m’impressionne pas beaucoup. C’est dans mes capacités et j’aime ça. Mais ça, c’est quand tu ne connais pas le sentier Mestachibo. Et je confirme que je ne connaissais pas Mestachibo.
En fait, ce que je connaissais de Mestachibo était une goutte d’eau dans la mer. Non sérieusement, je pensais que c’était 3 km de Mestachibo, mais jamais 23 km avec des sections aussi difficiles les unes que les autres. Aucune partie roulante, que de la boue pour corser la difficulté.
Aïe aïe aïe, quelle galère, j’étais vraiment pas préparée à ça. Mon mental ne m’a pas lâché, mais la douleur s’est intensifiée dans le dos avec toutes ces montées-descentes à répétition.
Ne jamais crier victoire trop vite
Christian et moi avons une super belle énergie. Mon mal de dos est sous contrôle, mon genou est renforcé. J’estime pouvoir être à l’arrivée entre 20 et 21 heures, soit 5 heures pour faire 23 km. Nous avons encore 6 heures pour aller chercher nos points ITRA. Est-ce que je suis naïve ? Non, je ne pense pas…
Cette dernière section est la pire de l’épreuve. La difficulté n’est pas sur 3 km comme je le pensais, mais sur 20 km pour moi.
Je suis très reconnaissante envers les bénévoles et les supporters, mais sérieusement, quand on encourage, il est important de choisir les bons mots, surtout dans ce genre d’épreuve.
À 7 km de la fin, une personne bien intentionnée m’encourage en me disant que je suis presque arrivée. Je suis dans des douleurs aiguës à ce moment-là avec mon dos (il ne le sait pas, j’en suis bien consciente).
Détestable
Très soulagé d’entendre cela, je lui demande la distance restante.
“7 km”, me répond-il, visiblement fier de lui.
Sa réponse me frappe comme un coup de poignard.
Dans ma tête, tout bouillonne, je deviens furieuse. Je lui réponds d’un ton très désagréable : “C’est ça que tu appelles ‘arriver’ ?”
En m’écoutant parler, je me déteste. Je passe mon chemin rapidement pour ne pas décharger ma souffrance sur cette personne qui ne fait que m’encourager. Pauvre lui, vraiment désolé…
Heureusement, Christian est là et engage la conversation avec ces gens, les remerciant comme il se doit.
Franchir la ligne
Je vis l’enfer sur les 5 derniers kilomètres. La douleur est entre 10 et 12 sur une échelle de 10. Elle me transperce le cœur. Je dois faire de nombreuses pauses pour gravir les escaliers des chutes. À chaque marche, mon corps menace de se séparer de mes jambes. C’est difficile, très difficile, mais je tiens bon. Il est hors de question que j’abandonne si près du but.
J’ai de l’énergie, mon estomac va bien. Mon dos va suivre. J’ai jusqu’à dimanche midi pour atteindre l’arrivée, même en rampant s’il le faut, mais je franchirai la ligne d’arrivée.
La victoire mais pas l’extra
Oui, j’ai enfin complété ce QMT80 qui me faisait de l’œil depuis quelques années. Oui, j’ai pris ma revanche, mais bon sang que j’ai été bête de ne jamais avoir pris le temps d’aller faire la Mestachibo.
Si je l’avais fait avant, j’aurais vu que je ne pouvais pas me permettre de prendre autant de temps à St-Tite.
Je perds mes points ITRA de 25 minutes. J’ai encore beaucoup de choses à travailler et de leçons à apprendre.
Mon dos va passablement bien aujourd’hui. Je vais investiguer sur les raisons de ces douleurs et voir comment écarter cette problématique survenue en fin de parcours.
Place au prochain défi
Maintenant, je me concentre sur la Big qui aura lieu ce samedi, départ à 9h à Cacouna.
Mon objectif sera d’aller au maximum de mes possibilités. Il est fort possible que je doive abandonner rapidement, mais j’irai au bout de moi-même pour cette journée.
Je suis tellement contente de pouvoir revivre des longues distances que je ne vais pas anéantir tous mes efforts.
Merci de prendre le temps de me lire ! Au plaisir de courir avec vous.
12 Commentaires. Leave new
Quelle aventure ! Bravo Béa!
Merci Catherine !
Très beau récit, j’ai adoré te lire et vraiment, ça m’inspire pour mes prochaines courses !!!
Bravo pour ce défi.
Merci beaucoup pour ce retour de lecture. Et très heureuse de lire que cela pourrait t’aider dans tes prochaines courses.
Au plaisir !
Wow 🤩! Tu as toute mon admiration ma belle amie. Tu l’as fait Béatrice malgré tes point ITRA. C’est le plus important. Relever un défi, ton défi quelqu’il soit. Bravo à toi et à Christian aussi.
Merci Sylvie. Je suis bien d’accord, mes points Itra, on verra plus tard, l’essentiel était de franchir cette ligne.
À chacun son défi, j’adore suivre tes vacances en vélo. Se sont des vacances qui me parlent. Je travaille encore trop pour programmer ça, mais je pense programmer à un moment donner de traverser le Canada en vélo ou à la course.
Il faut juste que l’on puisse travailler à distance en tout temps pour ce genre d’aventure.
À très bientôt ma belle
Wow! À te lire j’ai eu des frissons! Je suis impressionnée par ton courage, ta résilience face à la douleur, ton acharnement. La préparation mentale, tu en fais ton affaire. Bravo!
Et ta prose est tellement fluide, ça ajoute encore au plaisir de la lecture, on a presque l’impression de vivre ton aventure par procuration. Merci! 🤩 Et bonne récupération! 💪🏃🏼♀️
Oh merci, merci pour tes jolis mots qui me font chaud au coeur.
Je ne suis pas en récupération car je fais la big à Cacouna ce weekend. Je vais faire ce que je peux sans pousser.
Au plaisir de partager de nouveau avec toi
Quel beau texte! Et quelle force! Wow bravo!!!
C’est très inspirant, tu as toute mon admiration!
Merci Cathy !
Félicitations Béatrice.
Excellent récit qui donne, malgré toutes les difficultés et souffrances perpétrées, le désir de continuer à courir en trail.
Merci
Merci Éric, Effectivement le désir de courir en trail est toujours très présent, si c’était facile cela ne m’intéresserait pas.